Joachim Trier : «Le thème qui était vraiment important pour moi était la solitude»

J'arrive et l'attends quelques minutes, parcequ'il est parti se faire un petit thé. De retour, je découvre quelqu'un de vraiment charmant, intéressant, qui m'aide beaucoup dans mes questions en me disant "c'est une question très intéressante" ou des choses comme "oui, c'est tout à fait ça". En repartant je lui tend la main, qu'il saisit en m'attirant vers lui pour me faire la bise et me souhaiter bonne chance pour mon interview! Une très belle rencontre avec quelqu'un de passionné et passionnnant, qui a un regard très juste sur la vie.
Pourquoi avez-vous choisi d'adapter un roman français, Le Feu Follet ? Qu'est-ce que ce dernier représentait exactement pour vous ?

Donc vous vous êtes inspiré du roman de Drieu La Rochelle, plus que du film réalisé par Louis Malle ?
Oui je mes suis inspiré du roman, mais je l'ai découvert après avoir vu le film. En réalité dans le film, il est alcoolique et dans le livre il est morphinomane, il apparait plus comme un junkie ou quelqu'un qui traverse la vie à travers les excès, les addictions. Et j'ai pensé que c'était intéressant. Bien que pour moi Oslo, 31 août ne soit pas un film à propos de l'abus de drogues, qui n'est qu'un détail, je l'envisage plus comme la métaphore d'une crise identitaire.
Votre film est-il, également une métaphore de l'échec d'une certaine ambition, comme l'était Nouvelle Donne ?
Oui, je pense qu'il y a des similarités et des différences entre les deux films. Ce qui les rapproche, c'est que les deux traitent de questions identitaires et d'ambition. L'ambition est à double tranchant, ça peut être quelque chose de vraiment puissant, mais d'un autre côté ça peut également être autodestructeur. Si vous n'êtes pas à la hauteur de vos espérances, ça peut être dévastateur. Mais je pense que les différences se trouvent dans le fait que dans Nouvelle Donne, les personnages rêvent leur futur, alors que dans Oslo, 31 août, le personnage est en quelque sorte projeté dans la réalité de la vie adulte, et se trouve confronté à la question de ce qu'il doit faire maintenant que le temps du rêve est fini. L'âge adulte est le moment où l'on se doit d'être pragmatique et certaines personnes ne parviennent pas à gérer ça.
Quel a été le plus grand challenge : parler de la solitude ou montrer 24 heures de la vie d'un homme ?
C'est une question intéressante, parce que je pense que le thème qui était vraiment important pour moi était la solitude. Le cinéma est un lieu formidable pour expérimenter ce qu'est la solitude avec les autres, au milieu des personnes présentes dans la salle. C'est finalement un paradoxe intéressant ! Mais je pense que le concept d'un seul jour est plus un challenge dramaturgique, mais en même temps très libérateur. Au début, j'étais très nerveux, je me disais «J'ai seulement 24 heures, est-ce que beaucoup d'événements intéressants peuvent se produire ?» puis j'ai compris «Ouah oui !» parce que quand vous avez cette limite vous pouvez finalement accéder à des situations très normales et créer de grandes points de tension, comme aller dans des cafés, s'assoir dans un parc, des choses que vous ne feriez peut-être pas dans un autre type d'histoire. Donc finalement j'ai trouvé libérateur d'avoir ce cadre pour l'histoire.
Est-ce que vous avez eu l'impression de prendre un risque ?
J'ai toujours l'impression de prendre un risque ! Je suis toujours nerveux. Faire un film c'est vraiment effrayant ! Je faisais du skateboard quand j'étais plus jeune. J'ai été champion de skateboard et, avec mes amis, nous faisions des vidéos sur lesquels nous sautions par dessus d'immenses escaliers, et parfois certains tombaient, se cassaient un bras et parfois on réussissait et là ça faisait de super vidéos. Et quand je fais un film, j'ai le même sentiment de risque, comme si j'allais sauter d'un grand escalier ! (rires) C'est un grand challenge personnel à chaque fois. Je ne les compare pas esthétiquement bien-sûr, mais juste au niveau de mon processus personnel. Et je pense qu'avec ce film, le challenge était de laisser derrière quelques unes des extravagances que j'ai l'impression d'avoir faites dans Nouvelle Donne et essayer de faire quelque chose de très clair, simple, en rendant ça très fort. C'était avec ça que je me battais et que je travaillais.
Avez-vous ressenti que Oslo, 31 août était plus facile à faire après le succès de Nouvelle Donne ?

Êtes-vous conscient que vous réussissez à parler à toute une génération avec vos films ? Est-ce calculé ?
Non ce n'est pas calculé et j'ai un rapport très ambivalent avec ça et je vais vous dire pourquoi. A un certain niveau, beaucoup de critiques en Angleterre, au Danemark, en Suède et en Norvège, parlent d'un portrait générationnel et d'un côté, c'est un compliment et un honneur, parce que vous savez il semble que beaucoup de jeunes gens se reconnaissent dans les thèmes et la musique et la vie nocturne cette sorte d'environnement un peu «hype», branché et si vous pensez à cela comme une chose générationnelle ça peut être une bonne chose. Mais ce n'est pas intentionnel, ce n'est pas quelque chose que j'ai planifié. J'essaye de parler de personnages que je vois ou que je connais et je ne peux pas parler pour tout le monde. Ce serait en quelque sorte dangereux de prétendre que je peux parler pour tout le monde. Mais oui ça compte beaucoup pour moi, j'ai toujours admiré les groupes, les musiciens qui réussissent à créer un style, à parler aux jeunes, qui reconnaissent le style en se disant «Voilà le style qui m'intéresse, l'émotion à laquelle je veux prendre part» et c'est vrai c'est arrivé avec Nouvelle Donne et Oslo, 31 août. Je rencontre des gens à New-York qui me disent «Vos films parlent de moi et mes amis!» et je me dis «Ouah c'est un grand honneur». Donc oui c'est une très bonne chose.
Votre film est quand-même très sombre, est-ce que vous diriez qu'il a un point de vue simplement réaliste ou pessimiste, de la jeunesse ?
C'est une très bonne question, à laquelle il est assez difficile de répondre. En quelque sorte oui c'est un film pessimiste, mais je ne sais pas si le film a nécessairement besoin de l'être. Je pense que c'est, d'un certain point de vue, une tragédie, parce que c'est un film qui parle de quelqu'un qui se bat pour accepter qui il est, et il a également une issue tragique, mais je dirais que dans la tragédie classique, la catharsis ne se trouve pas dans le personnage, mais dans l'expérience de la paix faite par le spectateur. J'espère que les gens en ressortiront en se posant des questions sur leurs vies, ou sur celles de personnes qu'ils connaissent. Je l'espère vraiment. Ce n'est pas dans mon intention de faire un film pessimiste vous savez. Selon moi, la tragédie d'Anders est que le monde autour de lui est parfois magnifique, mais il ne sait pas comment s'en approcher.
On ressent vraiment que votre film est également une déclaration d'amour à la ville d'Oslo, qu'il n'aurait pu être tournée autre part, cela vous semble-t-il juste ?
Je ne sais pas, je pense que mon amour pour Oslo transparait involontairement. Oui je suis en train de découvrir qu'il y a quelque chose que j'aime à propos d'Oslo, mais je ressens aussi que c'est une ville que je devais quitter, j'ai grandi là-bas, je suis né là-bas, j'ai vécu à Londres plusieurs années. Donc vous savez c'est un sentiment ambivalent, mais oui au début du film je veux parler du souvenir et du thème de l'identité dans une ville, comment une ville crée différentes notions pour différentes personnes, alors qu'elle n'est qu'une, ce qui est un concept intéressant. Nous sommes si proches les uns des autres alors que nous avons des histoires si différentes, à propos des même lieux. C'est le thème qui m'intéresse. Mais Oslo a une beauté cachée, ce n'est pas un lieu qui possède une beauté apparente, c'est en fait un endroit dans lequel vous devez connaitre quelqu'un ou rester quelques temps avant de découvrir la beauté.
Avez-vous réalisé les interviews que l'on voit au début du film ?

Personne ne peut vraiment aider le personnage principal, personne n'essaie vraiment d'ailleurs, est-ce la morale du film, nous sommes toujours seuls ?
Je n'ai jamais de morale dans mes films, j'essaye de parler de quelque chose, de donner mon point de vue sur des thèmes précis, de poser des questions. Je ne saurais pas comment construire une morale. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous, je pense que certaines des personnes qu'il croise essayent de l'aider, que c'est juste très difficile d'aider quelqu'un qui est si intelligent et si sombre et qui ne veut pas être aidé. La façon dont il est connecté aux gens, rend difficile pour eux de vraiment comprendre quel est son état, où il en est. Je pense qu'il y a plusieurs réactions de la part des personnes qui l'entourent. Mais ce que je voulais vraiment faire c'est mettre en valeur les relations qui lient les personnages entre eux, à travers ces petits moments de vie. Je ne sais pas s'il y a une quelconque morale dans le film (rires). Oui c'est vrai, il y a une reconnaissance de la solitude de l'être face au monde que nous devons accepter . Nous devons également accepter le fait que tout ne soit pas parfait, ce qui est difficile pour tout le monde. Finalement les imperfections et les incapacités de chacun sont ce qui rend les gens «aimables». Anders est, d'un certain point de vue, un grand perfectionniste et il se sent honteusement en échec, et je pense qu'il lui manque cet amour pour lui-même et également un sens de l'auto-dérision. Ses amis disent «Ouah ma vie c'est de la merde !» et ils essaient de faire rire Anders, ils rigolent eux-même de leur propre vie. A mon avis, c'est ça qui nous fait survivre, rire de nous-même pour s'assurer que nous nous acceptons et essayer de faire attention à nous, de nous porter une peu d'amour propre, et c'est vrai que c'est difficile quelques fois.
Revenons au dialogue entre Thomas et Anders, pourquoi est-il plus long que les autres ?
Une des raisons pour lesquelles j'ai voulu faire ce film c'était d'abord pour créer une longue conversation honnête, je l'espère, entre deux amis. Et je pense que moi et mon co-scénariste, Eskil Vogt, nous avons tous les deux déjà été dans ce genre de conversation avec quelqu'un, quand vous essayez désespérément de trouver les mots justes pour aider l'autre et que vous commencez à sentir les limites de ce que vous pouvez faire pour lui. C'est plutôt une expérience douloureuse, et aussi tragique bizarrement, vous n'arrivez pas vraiment à savoir si cette personne est sérieuse à ce moment là ou si elle se plaint comme nous le faisons tous. Nous avons fait un pari dramaturgique, nous nous sommes dit que nous allions avoir dans le premier acte du film, ou dans le premier tiers, une vraie longue conversation, le type de conversation qui peut être risquée. Mais finalement, beaucoup de gens viennent me voir en me disant que c'est la meilleure partie du film, c'est vraiment ce moment qui les a le plus ému.
Est-ce que tous leurs dialogues étaient écrits ou y a-t-il eu de l'improvisation de la part des acteurs ?
Oui tous les dialogues étaient écrits, il y a quelques moments où nous avons tenté quelques improvisations, laissé les acteurs être tout simplement, mais il n y a pas vraiment d'improvisation libre de leur part. Le film est dans son intégralité très écrit.
Pourquoi avez-vous commencé avec le suicide raté d'Anders ? Qu'est-ce que cet échec signifie, puisqu'il va mourir de tout façon ?
Oui, mais le spectateur ne sait pas qu'il va mourir ! (rires) Se tuer est difficile, je pense, je ne sais pas, mais j'imagine. Je trouve qu'il y a quelque chose de maladroit, presque pathétique, mais très honnête à propos de cette première tentative. Le film est également à propos de quelqu'un qui ne trouve pas sa place et se sent incapable d'aller au bout des choses et je pense que c'est une chose intéressante qu'il échoue même en essayant de mettre fin à ses jours. La scène est très symbolique pour le personnage, elle met en place, dans un même mouvement, qui il est et dans quel état d'esprit il se trouve. C'est un acte très expressif, cet essai maladroit de se noyer. Et j'ai aussi pensé, d'un point de vue simplement esthétique, que je voulais voir ce garçon branché, bien habillé aller dans l'eau et en ressortir comme un chien mouillé et tousser, s'étouffer, ce qui le rend très pathétique. Je voulais voir cette image, c'est assez dur à expliquer, vous savez je le voyais comme un pan mouillé, je pensais que ça serait une image puissante, de voir cet animal majestueux dont les plumes auraient été abîmées par l'eau.
Votre film voit-il le suicide comme une expression du libre-arbitre ?

Est-ce que le suicide peut, dans certains cas, être vu comme libérateur selon vous ?
Ouah, c'est une question difficile ! Je pense que d'une certaine manière j'ai voulu mettre la question de pourquoi nous vivons et comment nous vivons au centre du film. Plus qu'une contemplation sur le suicide, c'est un film qui questionne comment vivre et pourquoi vivre. La crise existentielle, la remise en question, est vraiment le sujet du film.
Votre film est-il une dénonciation d'une certaine uniformité de la société actuelle, du fait que si l'on ne suit pas un modèle stéréotypé, comme avoir des enfants, un travail intéressant... on ne peut survivre ?

Pouvez-vous nous parler de l'acteur principal, Anders Danielsen Lie ? Il est formidable dans le rôle, mais est-il vrai qu'en réalité il est docteur ?
Oui il est docteur, pendant que nous parlons il est en train de retirer une appendicite! Il a fini ses études il y a peu de temps, c'est un jeune docteur. C'est un acteur formidable, un homme de la Renaissance, il est musicien, il a écrit un livre, il est docteur... Il est très impressionnant !
Allez-vous tourner avec lui prochainement ?
Je l'espère ! Il n'y a rien de prévu pour l'instant, mais je suis un grand fan et je pense qu'il porte vraiment ce film. Quand le film se termine, le premier nom qui apparait est celui d'Anders et il y a une raison à ça.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Je travaille sur un drame familial. Rien n'est encore sûr, mais je pense que ce sera mon prochain film. Et je devrais commencer le tournage cet automne.
Un autre film sur la désillusion ?
Non, je pense que celui-là sera plus optimiste. Mais il traitera toujours de la communication et de comment nous n'arrivons pas à nous voir les uns les autres à l'intérieur d'une famille. Et ce sera aussi à propos de grandir ensemble et avancer ensemble en tant que famille, tout en réussissant à s'émanciper du rôle qui est donné à chacun au sein de celle-ci.
Par Camille Esnault (29/02/2012 à 10h13)
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