vendredi 3 février 2012

Tony Kaye : «Detachment n'est pas un film sur l'éducation»

Detachment - Tony Kaye Tony Kaye le réalisateur du quasi culte American History X, a répondu à nos questions concernant son nouveau long-métrage, Detachment. Le film mettant en scène un enseignant à la dérive, incarné par Adrien Brody, est sur la bonne voie pour suivre l'exemple du premier film de Kaye, avec déjà cinq prix à son actif, aux festivals de Valenciennes, Tokyo et Deauville. Rencontre.


Le portrait que vous faites du travail quotidien des enseignants est très juste. Sachant que le scénariste Carl Lund a enseigné dans le public, avez-vous enquêté auprès d'enseignants ou d'élèves ?
Detachment - Adrien BrodyNon, en réalité je n'ai pas fait de recherches. J'ai travaillé sur le scénario avec Carl Lund pendant 3 à 5 ans, mais j'avais déjà une grande compréhension du monde. Pour moi, le film n'est pas un film sur l'éducation. C'est plus comme une toile de fond, un gros titre, mais il y a beaucoup d'autres choses dans le film. C'est un film à propos d'un groupe de personnes, de parents, de familles qui essaient de faire les choses bien, à propos de ce qui va bien, ce qui va mal, de personnes qui ont besoin d'aide et de celles qui essaient de les aider, de gens qui sont en colère, contrariés. Le film est une sorte d'observation, d'un moment particulier, de quelques semaines dans une école et d'un homme qui se trouve être enseignant, et c'est une bonne chose qu'il soit enseignant, ainsi on peut saisir son quotidien, ses habitudes, ce qui le fait aller au lycée, ce qui peut le faire aller mieux. Je ne pense pas que ce soit un film à propos de l'éducation et que Carl Lund l'ait pensé comme une pure enquête à l'intérieur du système éducatif.

L'interview d'Adrien Brody, qui parcourt le film, est-elle pensée comme une continuité de ces confessions ?
Detachment - Adrien BrodyJ'ai montré à Adrien un bout du film et je lui ai dit « est-ce que ça ne te dérangerait pas que je filme une interview de toi avec la caméra? » Il a dit « oui, bien-sûr, sans problème. » Il était dans le personnage, j'ai juste dit quelques petites choses et il s'est mis à parler. Nous avons parlé de différentes parties de l'histoire, de choses diverses concernant le personnage. Il n'y avait rien de prévu à l'avance, enfin bien-sûr je l'avais prévu, mais je veux dire que ce n'était pas planifié au début.

Pourquoi, avoir choisi la fiction pour votre film Detachment et non le documentaire, comme vous l'aviez fait pour parler de l'avortement dans Lake of fire?
Je voulais faire quelque chose sur l'avortement. J'ai voulu parler de l'avortement, parce que j'en ai vécu un en tant qu'homme. J'étais avec une fille qui est tombée enceinte et qui a voulu se faire avorter. Je ne le voulais pas moi, mais elle souhaitait le faire, donc je l'ai accompagnée. Ensuite, quand j'ai emménagé aux États-Unis, la question de l'avortement était un gros problème. On en parlait tous les jours dans les journaux, des cliniques se faisaient attaquer, ce genre de choses, et j'ai pensé : « il faut que je fasse un film là-dessus, parce que j'ai une expérience, je l'ai vécu ». Je voulais enquêter et je voulais trouver ce qu'était vraiment l'avortement, donc j'ai essayé de penser à une histoire ou quelque chose, mais je ne pouvais penser à rien qui pouvait exprimer l'espèce de « plateforme massive » que représentait le sujet. Aucune histoire n'aurait pu tout englober. C'est pourquoi j'ai décidé de faire un documentaire et pour être honnête, je ne savais même pas ce qu'était un documentaire. J'ai juste pensé qu'il y avait cette chose dont je devais parler et j'ai commencé à tourner, vous savez quand vous tournez ces plans et que vous découvrez ce que vous allez faire au fur et à mesure que vous filmez, sans avoir vraiment rien programmé. Mais une idée que j'avais, c'était que le film allait être impartial, qu'il allait être séparé en deux, que j'allais me montrer aussi enthousiaste pour les « pour » que pour les « contre ». Ce n'est pas que je sois particulièrement pour l'avortement, mais je suis pour le choix et contre cette absence de choix.

Vous avez réussi à construire un film très réaliste, mais certaines personnes pourraient dire qu'il est plus pessimiste que réaliste. Quelle est votre vision du métier d'enseignant ou de la vie en général ?
Detachment - Tim Blake NelsonLe métier d'enseignant est difficile, tout le monde le sait. Mais je pense que j'ai montré des gens qui aimaient vraiment ce qu'ils font. Il n'y avait aucun enseignant dans le film qui était lassé. Je déteste ça. Il y en avait qui étaient exaspérés, il y en avait qui étaient vraiment fatigués, il y en avaient qui étaient en colère et contrariés, il y en avait qui essayaient de faire du bon travail, mais il n'y avait personne qui regrettait d'avoir choisi cette voie. Pour moi, si vous enseignez toute votre vie, ce ne sera pas une vie gâchée, vous aurez rempli une mission, vous aurez quelque chose à la fin. Vous ne vous direz pas « j'aurais aimé faire autre chose. »

Vous avez dit dans de précédentes interviews, que vous étiez intéressé par les questions morales et sociales dans vos films. American History X traitait de la question du racisme, Detachment de celle de l'éducation. Est-ce que dans votre esprit, American History X a déteint sur Detachment ? Ne sentez-vous pas que finalement les deux films traitent du même sujet ?
Les deux abordent en effet des questions sociales. Mais je ne pourrais pas dire qu'il y ait vraiment une connexion entre les deux films. Bien-sûr, les projets dans lesquels je m'implique sont toujours plus ou moins connectés, mais je ne peux pas vous dire de quelle façon, précisément. La connexion est que je me suis beaucoup impliqué dans les deux projets.

Vous abordez souvent des sujets assez lourds, le racisme, l'avortement... Avez-vous besoin comme Henry Barthes de ce « détachement »?
Oui, bien-sûr! Tout le monde doit se détacher de lui-même pour pouvoir regarder la situation de plus haut, la commenter et ainsi la dépasser.

Dans Detachment, la musique est très présente. Pensez-vous que les images ont moins de pouvoir sans musique ?
Je pense beaucoup à la musique. Je veux dire les sons. Je ne pense pas que ce soit simplement la musique. Je pense à la musique en terme de son, aussi bien la musique, que les voix des acteurs, les effets sonores, les chansons. C'est dans cet ensemble que réside la musique. Le son, pour moi, est en réalité, la partie la plus importante du film. C'est grâce à lui que l'on peut sentir la pièce. Vous savez le visuel est une chose plutôt simple, mais le son, lui, doit flotter.

Vous avez également inclus des dessins que vous avez, vous-même réalisés. Quel sont exactement leurs rôles ?
Detachment - Adrien BrodyVous savez, il y avait seulement deux choses de prévues, la première était que j'allais faire le film, et l'autre était le tableau noir, les animations sur le tableau noir. J'ai très vite senti que je voulais que le tableau noir soit un tableau parlant, un personnage de l'histoire. Il représente un élément traditionnel et j'ai pensé que je pourrais l'utiliser, qu'il serait utile à l'histoire.

Vous développez de nombreuses thématiques dans votre film. Que souhaitez-vous que le spectateur retienne?
Detachment - Adrien Brody, Sami GayleC'est un film à propos de la parentalité, mais aussi de la manière dont on aide les enfants à grandir, à traverser l'enfance. Tout ça autour d'un personnage, qui a une vie de famille très compliquée, il s'occupe de son grand-père sénile, sa mère s'est suicidée en avalant des pilules. Il y a l'inceste... Il a une existence très difficile, tous les rapports qui le lient à sa famille ne sont justes pas bons, pas sains. Et il faut qu'il vive avec tout ça. C'est un homme vide, on le voit dans l'endroit où il vit, qui n'a presque aucun meuble qui est comme lui, vide.

Avez-vous d'autres projets ? Peut-être avec Adrien Brody ?
Ah! Avec Adrien ! Oui, nous parlons de beaucoup de choses. On a encore rien concrétisé vraiment, mais nous parlons.

Par Camille Esnault (02/02/2012 à 10h23)

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