Juliette Binoche en journaliste, pose les questions qui font mal sur un Etat français qui ne donne qu'un seul choix aux étudiantes, la prostitution ou l'abandon d'une perspective d'avenir. Questions qui ne trouvent pas toutes de réponses dans le film de Malgoska Szumowska, mais qui ont déjà le mérite d'être posées.
Elles, s'annonçait comme la peinture d'un phénomène de plus en plus répandu, la prostitution estudiantine. C'est, en tout cas, ainsi que se développe la première partie du film. Anne (Juliette Binoche) est journaliste pour un grand magazine féminin et réalise les interviews de deux jeunes filles qui se prostituent pour payer leurs études, et leur logement parisien. Les deux portraits sont articulés entre le récit des deux étudiantes et les images les montrant à l'acte. Même si Lola (
Anaïs Demoustier) exerce une prostitution un peu plus proprette, que celle de Alicja (
Joanna kulig), qui réalise les désirs tordus de ses clients, toutes les deux y trouvent leur compte. Lola en échappant aux HLM dans lesquels elle a grandi, grâce aux chaussures de créateurs qu'elle peut s'offrir, et Alicja en vivant dans un appartement luxueux de la capitale. Le récit n'est pas manichéen, Malgoska Szumowska, la réalisatrice, refuse de montrer les jeunes filles comme totalement prisonnières de leur condition, ainsi elle ne fait jamais dans le pathos. Elle choisit d'aborder le problème d'un angle un peu plus subtil, car même si les nouvelles prostituées ont l'impression « d'avoir le contrôle », elles vont au fur et à mesure comprendre que c'est un bien grand sacrifice à faire.

La deuxième partie du film s'égare un peu (trop) dans des réflexions sur le désir féminin, sur la routine qui tue le couple à travers l'exemple de celui d'Anne, qui meurt à petit feu. L'histoire des deux jeunes filles est alors mise de côté, et on aurait préféré que l'attention se porte d'avantage sur le développement des personnages de Lola et d'Alicja. Certaines scènes sont même redondantes et carrément inutiles, voire absurdes. C'est le cas des nombreuses scènes de sexe, dont certaines apparaissent plusieurs fois, et surtout celle montrant Juliette Binoche à un dîner mondain, qui voit les clients de ses deux témoins prendre la place des invités et qui se met à chanter gaiement avec eux la chanson de Prévert,
Les feuilles mortes. La déception est d'autant plus grande, que le film
Elles aborde des thèmes importants de la société actuelle, qui ne le sont que trop peu.

Malgoska Szumowska, réussit, tout de même à montrer les aberrations, et le manque de considération, de l'administration française, à travers la scène très juste dans laquelle Alicja, étudiante Polonaise, à qui on a volé toutes les affaires, supplie un agent du Crous de lui fournir un logement. Le film pose également la question de l'impossibilité d'une ascension sociale en France aujourd'hui, à travers le personnage de Charlotte alias Lola, qui ne peut pas cumuler un emploi dans un fast-food et ses cours en prépa. C'est en empruntant le chemin des trottoirs qu'elle aura une chance d'échapper aux milieu plus que modeste d'où elle vient, et d'enlever de son corps « l'odeur des HLM ». Malheureusement ces questions, le film, ne fait que les effleurer, sans vraiment se demander comment il est possible que des jeunes filles en soient réduites à vendre leur corps pour pouvoir suivre des études.

La réflexion la plus développée par la réalisatrice, est le constat affolant de la façon dont l'homme considère la femme, puisque comme le dit le mari d'Anne incarné par
Louis-Do de Lencquesaing, « des putes c'est des putes. » On réalise alors que chaque femme peut devenir « pute » d'une seconde à l'autre dans le regard d'un homme. Lola qui reçoit 50 réponses en une demi-heure, Alicja qui cède aux propositions du propriétaire de son appartement ou encore Anne qui sacrifie sa journée pour préparer un dîner au patron de son mari et se force à taire ses idées « féministes » devant lui. Finalement, la chose la plus réussie du film est la présence lumineuse de Juliette Binoche qui fait tenir les trois histoires ensemble et nous offre 1h36 que nous ne regrettons pas d'avoir passées en sa compagnie.
Par Camille Esnault